PARTIR UN JOUR
- Serge Leterrier
- 21 avr.
- 6 min de lecture
PARTIR UN JOUR
Un film d’Amélie Bonnin
Et si rester était une nouvelle façon de partir ?
De Serge Leterrier
« Il ne suffit pas de quitter les choses pour que les choses vous quittent. » L’un des dialogues du film
Le film Partir un jour, réalisé par Amélie Bonnin, ouvrira le 78ᵉ Festival de Cannes le mardi 13 mai 2025, lors de la cérémonie d'ouverture. Il sera projeté en avant-première mondiale dans le cadre de cet événement prestigieux, marquant le début de cette nouvelle édition du festival.

Cécile, cheffe prometteuse à Paris, s’apprête à ouvrir son propre restaurant lorsqu’elle apprend que son père a fait un malaise. Obligée de retourner dans son village natal en Normandie, elle retrouve soudain sa famille, ses amis d’enfance, et l’amour qu’elle avait laissé derrière elle. Confrontée à ses souvenirs et à la réalité de ses choix, Cécile doit réapprendre à jongler entre ses aspirations personnelles et le poids de ses racines, remettant en question la vie qu’elle croyait avoir choisie.
Partir
Entre liberté et sentiment de trahison
Qui n'a jamais ressenti ce conflit intérieur ? D'un côté, l'envie de construire sa propre vie, de l'autre, la peur d'abandonner ceux qu'on aime. Cécile, jouée par Juliette Armanet, incarne parfaitement ce dilemme. Son restaurant parisien représente son rêve personnel, tandis que son village symbolise ses attaches familiales.
Quand elle revient auprès de son père malade, les émotions qui l'assaillent sont complexes. Ce n'est probablement pas de la tristesse ou de l'inquiétude, mais un mélange de culpabilité et de frustration. Comme beaucoup d'entre nous, elle se demande : - « Ai-je le droit d'être heureuse ailleurs pendant que ma famille souffre ici ? »
Cette culpabilité n'est pas anodine. Les psychologues l'appellent « loyauté familiale invisible » - ces liens non-dits qui nous retiennent, ces promesses jamais formulées mais profondément ressenties. La scène où Cécile discute avec sa mère dans la cuisine familiale illustre parfaitement cette tension : les mots disent une chose, mais les regards et les silences en disent une autre.
« C’est un film qui a une comédie musicale pas vraiment une comédie musicale au sens où on pourrait l’entendre […] comme les chansons nous accompagnent dans la vie » Amélie Bonnin
Les chansons populaires des années 90 jalonnent le film et fonctionnent comme des machines à remonter le temps émotionnel. Nous avons tous été transporté, un jour ou l’autre, dans son passé en entendant une vieille chanson. Ces morceaux sont comme des « doudous émotionnels » pour adultes, des objets qui nous connectent à nos souvenirs tout en nous permettant d'avancer. Ils sont à la fois réconfortants et mélancoliques.
La force du film est de transformer ces tubes, souvent considérés comme légers, en véritables révélateurs de nos émotions profondes. Les paroles de Partir un jour des 2Be3, - « partir un jour sans retour, effacer notre amour », prennent une dimension presque philosophique quand on les « recontextualise » dans la vie d'une femme qui tente justement de s'arracher à son passé.
Il y a aussi ce village natal qui lui renvoie sa propre image. Le contraste entre Paris et le lieu de naissance de Cécile est saisissant. A ce niveau, il n’y a pas que le paysage, mais de rythme intérieur. À Paris, Cécile contrôle sa vie, ses gestes sont précis, maîtrisés, comme ceux d'une cheffe en cuisine. Au village, elle redevient celle qu'elle était - ou plutôt, elle fait face à celle qu'elle aurait pu être.
Ce retour aux sources nous est tous familier. Chacun d’entre nous a ressenti dans sa vie cette étrange sensation de dédoublement en revenant dans sa ville d'enfance. Elle est à la fois elle-même et quelqu'un d'autre. Les psychologues parlent de "régression" - non pas dans un sens négatif, mais comme un retour temporaire à des comportements et des émotions d'autrefois.
Le village natal de Cécile fonctionne comme un espace liminal au sens anthropologique — un lieu où les frontières entre passé et présent s’estompent. Les plans larges sur les champs normands, filmés en lumière naturelle, contrastent avec l’esthétique urbaine aseptisée de Paris, évoquant le concept jungien d’« ombre » : la partie de soi rejetée, mais indispensable à l’équilibre psychique
Il y a également cette rencontre avec le passé, la relation entre Cécile et son ancien amour, joué par Bastien Bouillon, touche une corde sensible chez elle. Qui ne s'est jamais demandé – « Et si j'étais resté(e) ? » ou « Et si nous étions restés ensemble ?». Leurs échanges sont empreints de non-dits et de tensions non résolues. Un amour perdu, mais aussi deux chemins de vie qui ont divergé. Leurs conversations maladroites, entrecoupées de lourds silences, reflètent cette vérité universelle : on ne peut jamais vraiment revenir en arrière, même quand on revient physiquement sur les lieux de son passé. Le temps a fait son œuvre, et nous ne sommes plus ceux que nous étions.
Peut-on vraiment partir sans se perdre ?
La grande question que pose le film est peut-être celle-ci : est-il possible de s'éloigner de ses racines sans pour autant perdre une partie essentielle de soi-même ?
La réponse qu'Amélie Bonnin semble suggérer est nuancée. Le départ n'est pas nécessairement une trahison ou une rupture définitive. Il peut être une forme de réconciliation avec soi-même. Quoi qu’il en soit, dans ce cas de figure nous ne repartons pas triomphant vers cette destination prédestinée, mais apaisée, ayant fait la paix avec ses choix. Grandir ne signifie pas rejeter son passé, mais l'intégrer dans la personne que l’on devient. Les racines ne sont pas des chaînes qui nous retiennent, mais des fondations qui nous permettent de nous élever.
Un film qui parle à tous
Ce qui rend Partir un jour si touchant, c'est sa capacité à transformer une histoire personnelle en récit universel. Que l’on ait quitté une petite ville pour une métropole, changé de pays, ou simplement pris un chemin différent de celui que notre famille avait imaginé pour nous, ce film nous parle.
En mêlant moments de vie quotidienne et questionnements profonds, Amélie Bonnin crée une œuvre qui nous incite à réfléchir à notre propre parcours. Comme l'écrivait le philosophe allemand Nietzsche, nous devons parfois traverser le chaos intérieur pour trouver notre propre voie - et c'est précisément ce cheminement chaotique mais nécessaire que le film capture avec justesse.
Amélie Bonnin
Amélie Bonnin est une réalisatrice et directrice artistique française dont le travail croise différentes disciplines artistiques. Après des études en design graphique à Paris et Montréal, elle se forme à l’écriture de scénarios à la prestigieuse Fémis. Son parcours débute avec la réalisation de documentaires, notamment La mélodie du boucher pour Arte et La bande des Français, co-réalisé avec Aurélie Charon pour France 3. En 2023, elle remporte le César du meilleur court-métrage pour Partir un jour, une œuvre qui explore les thèmes du retour aux racines et de la quête identitaire. Parallèlement à ses projets cinématographiques, elle poursuit son activité de directrice artistique, notamment en signant la maquette de La Déferlante, une revue féministe. Avec son premier long-métrage Partir un jour (2025), Amélie Bonnin confirme son talent pour mêler authenticité et poésie, tout en offrant une réflexion intime sur les choix de vie.
Juliette Armanet
Juliette Armanet, née le 4 mars 1984 à Lille, est une auteure-compositrice-interprète et pianiste française reconnue comme l’une des figures majeures de la nouvelle scène musicale française. Issue d’une famille passionnée par les arts, elle grandit entourée de livres et de musique avant de déménager à Paris à l’âge de 16 ans. Après une maîtrise en Lettres et théâtre, elle débute dans le journalisme documentaire, réalisant notamment Éloge de la jupe pour Arte en 2011. Parallèlement, elle développe sa carrière musicale : en 2014, elle remporte un concours organisé par Les Inrocks, ce qui lance sa collaboration avec le label Barclay. Son premier album Petite amie (2017) est salué par la critique et devient disque d’or, lui valant la Victoire de la Musique pour l'Album révélation de l'année en 2018. Avec des influences telles que Véronique Sanson et Michel Berger, Juliette Armanet allie mélodies élégantes et textes sensibles. En 2024, elle chante lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris, confirmant son statut d’artiste incontournable. Dans Partir un jour, elle incarne Cécile avec profondeur et émotion, ajoutant une nouvelle dimension à son parcours artistique.

« Partir un jour sans retour / Effacer notre amour / Sans se retourner, ne pas regretter» Parole de la chanson des 2Be3, Partir un jour
Quand vous quitterez la salle de projection, après avoir visionné le film, Partir un jour, vous ne penserez plus à Cécile, ni à son village, ni à ses choix, mais à vos propres racines, à ces morceaux de vous que vous avez laissés derrière en croyant avancer sur votre chemin. Et soudain, vous allez, peut-être comprendre que parfois, revenir sur ses pas, ce n’est pas reculer, c’est se retrouver.
Et vous, si vous deviez partir un jour, qu’emporteriez-vous avec vous : vos rêves d’ailleurs ou les fragments de ce que vous laissez derrière vous ?
Projection en avant-première le 13 mai 2025, film d’ouverture du 78e édition du FIF de Cannes… A très bientôt sur la croisette !
BANDE ANNONCE - Partir un Jour
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