Notre endroit silencieux, un film qui fait du bruit
Notre endroit silencieux, film d’Elitza Gueorguieva, n’a pas laissé indifférent le public du
Ciné-club bulgare à Paris, organisé au Christine cinéma club ce 6 avril 2022. Un public
conquis, une rencontre avec l’équipe du film, cette soirée reste inoubliable.
La 2ème édition du ciné-club bulgare à Paris, au Christine Cinéma Club, et le film Un endroit silencieux d’Elitza Gueorguieva a réuni un public composé d’amateurs et de professionnels du cinéma, comme l’acteur Miglen Mirtchev ou encore le réalisateur Hristo Todorov. Desislava Bineva, directrice de l’Institut Culturel Bulgare à Paris, et Dessislava Milanova, présidente de la plateforme Cinéma Bulgare en France, ont présenté la soirée.
Après la séance, le public a rencontré une partie de l’équipe du film avec la réalisatrice Elitza Gueorguieva, Les Films du Bilboquet représentés par la productrice Eugénie Michel-Villette et la monteuse Mélanie Braux.
Entretiens avec le public, en collaboration avec Dessislava Milanova :
Est-ce que ce film peut être considéré comme un hymne à l’immigration ?
Elitza :
C’est un film « qui questionne » « pour moi, c’est une autre manière de revenir à la question de l’exil qui est forcément quelque chose qui traverse ma vie puisque ça fait 20 ans que je vis en France. Ce n’est plus un exil mais c’est quand même quelque chose qui a beaucoup occupé les premières questions que je pouvais avoir, les premières réflexions. C’est vrai que c’est une manière de revenir à ce sujet mais, à travers l’écriture, ce qui implique quand même peut-être plus de choses. L’exil, c’est une sorte de bulle au sein de laquelle on va dans d’autres problématiques. »
Comment s’est déroulé la production de ce film ? Est-ce que ce film a trouvé son public au-delà des festivals auxquels il a été programmé ?
Eugénie Michel-Villette pour les Films du Bilboquet :
« Mine de rien, oui. […] La production s’est bien passée. Les films qu’on produit aux Films du Bilboquet sont la plupart du temps des films que les auteurs nous proposent mais qu’on choisit ensemble. Ce sont des films dont on sait qu’ils affirment un point de vue très solide. Donc, c’est un compagnonnage qu’on fait sur le long terme et pour lequel on sait que les écritures se multiplient au moment du dossier, du tournage et du montage. Donc, c’est son univers et c’est devenu un peu aussi notre savoir-faire y compris pour la question du public parce que c’est vrai que c’est un film où on va chercher des publics, mais qui circule dans les festivals où les gens viennent (et même qui reviennent) voir le film. Les films trouvent leurs places comme ça, à ses endroits-là et puis, après, selon ce dont il s’agit, ce qu’il raconte, on fait aussi le travail d’aller chercher les gens là où ils peuvent se trouver et s’intéresser à ce genre de film. Et si on parle du public, je pense qu’on sous-estime beaucoup trop les publics, en fait. »
Elitza :
« Moi aussi, j’avais changé de perspective sur cette question puisque ce film a été montré récemment en Bulgarie dans le plus gros festival, le Sofia International Film Festival (ndlr, où il a reçu la mention spéciale du Jury dans la catégorie documentaire), qui a une programmation de documentaires et une grande majorité de films grand public, plus classique dans la structure. Le fait que c’était un film un peu bizarre, plus intime, où une autrice se met plus dans le film, ça faisait aussi une différence. On est habitué à les distribuer à des festivals en France où ce film n’est pas une exception, mais quand on le montre dans un autre milieu, ça parle différemment. Je pense que le documentaire de création est un peu sous-estimé parce qu’il est marginalisé mais pas pour les bonnes raisons. »
Est-ce qu’on a des nouvelles du père ? Est-ce que l’histoire s’arrête avec le film ?
Elitza :
« Cette histoire ne s’arrêtera jamais puisqu’il n’y a pas de fin et qu’il n’y a pas de news du père puisque ça fait longtemps qu’il a disparu. En fait, elle revient sur l’histoire 20 ans plus tard. »
Est-ce qu’elle continue à chercher ?
Elitza :
« Oui. On a d’ailleurs beaucoup commenté ce film qui a eu beaucoup de versions et de fins différentes. C’est vrai qu’on l’a fini et c’est aussi grâce à Mélanie (Braux) qui a déterré dans les rushs ses plans où Aliona cherche dans la rue, la nuit, à Barcelone, quelque chose. Je pense qu’en effet, c’est une recherche qui ne s’arrêtera jamais mais qui est sans doute revisitée, un peu comme la question de l’exil. C’est vrai qu’il y a des choses qui nous traversent, aussi fort, qu’on ne va jamais abandonner. Maintenant, elle a écrit un 2ème roman qui ne raconte pas du tout une histoire comme ça et, au final, il y a tant de résonnances, à la fois dans la langue poétique qui est construite, à la fois dans d’autres personnages où on retrouve un petit peu les bribes de l’histoire. En fait, sans même le vouloir, je pense qu’elle va toujours plus ou moins chercher quelque chose. »
Ce qui est très beau, c’est qu’il n’y a pas de fin dans ce film. On est tous propulsé dans un temps infini.
Elitza :
« C’est aussi comme ça qu’on a pensé le film, comme une sorte de flottement et d’errance et c’est aussi ça que j’aimais beaucoup dans son écriture, qu’il n’y ait pas un personnage qui va d’un point A à un point B. C’est très mouvant. »
Quelque chose qu’on retrouve dans ton premier film et aussi dans ton roman Les Cosmonautes ne font que passer (chez Gallimard, collection Verticales) : c’est le tutoiement. Il revient constamment dans ton écriture. Dans ce film-là, il me semble que ça trouve aussi son sens parce qu’il y a aussi un dialogue avec Aliona et aussi le « tu », c’est aussi, je suppose, le spectateur, c’est une ouverture comme une fenêtre, l’impression pour le souvenir, pour la compréhension. Pourquoi le « tu » revient et quel sens ça a pour toi ?
Elitza :
« C’est vrai qu’il y a une sorte d’ambivalence. Dans mon premier roman, le « tu », c’est presque comme un dialogue intérieur avec la mémoire, les souvenirs. Ici, il est un peu augmenté parce qu’il est un peu ambigu dans le sens où ce sont parfois des vraies conversations qu’on a pu avoir et qui ont été très réécrites. Il y avait cette volonté de traduire ces réflexions qu’on pouvait avoir dans la vraie vie autour de l’écriture, de les rendre à l’image, de construire quelque chose autour. Après, il est vraiment fabriqué de pleins de petites choses. C’est une sorte de dialogue mais qui n’en est pas vraiment un. Et, en même temps, il y a cette coïncidence dans la trajectoire qu’on a fait toutes les deux ce qui a fait qu’on nous a beaucoup confondues. On a beaucoup ri de tout ça même si on avait quelques similitudes. […] A la fin du film, j’avais beaucoup hésité. Finalement, j’ai préféré le finir avec ce dernier carton sur « Quand est-ce qu’on sait qu’un texte est terminé ? » (cette même question que je me posais avec ce montage interminable ! (rires) […] Réponse : Quand on trouve quelque chose d’autres. Et Mélanie, qui était un peu la gardienne de la vérité et d’Aliona, m’a dit « mais est-ce qu’on est sûr qu’Aliona dirait ça ? » Je lui ai envoyé un texto et elle m’a répondu à peu près la même chose, presque mot pour mot. Donc, je l’ai gardé. »
Est-ce que le parallèle entre la Bulgarie et Minsk vous a guidé tout au long du film ? Est-ce qu’il y avait toujours une envie de comparer ?
Elitza :
« Je pense que c’était vraiment ce qui a augmenté cette inquiétante étrangeté mais c’est vrai qu’il y avait quelque chose de très connu et, en même temps, de très étrange et oppressant pour moi d’être à Minsk. Quand j’ai découvert son texte, c’était un peu pareil. J’avais un peu l’impression de connaître le décor et le paysage et, en même temps, ça me dépassait en quelque sorte. Le parallèle ? Oui, je pense qu’il se fait de toute façon malgré nous. Une fois de plus puisqu’on écrit ces histoires depuis la France où on est mis dans une même case, mais, de fait, on l’est. Le parallèle entre les deux pays, c’est sûr que c’est inévitable. Et d’ailleurs, on le retrouve dans nos romans. »
As-tu de nouveaux projets en écriture ? film, roman ?
Elitza :
« Oui. »
Tandis que la salle se vidait, Viktoria, jeune ukrainienne qui vient d’arriver en France suite aux événements, a terminé cette soirée sur ses mots : « J’ai découvert un autre côté. »
Photos de Katya Salloum
Retrouvez la présentation du film sur l’article du 1er avril : https://www.now-productions-films.com/post/le-cine-club-bulgare-a-paris
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