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VIE PRIVEE

  • Photo du rédacteur: Serge Leterrier
    Serge Leterrier
  • 30 mai
  • 4 min de lecture

VIE PRIVEE

Un film de Rebecca Zlotowski

Quand Hitchcock rencontre Freud : l'équation de Rebecca


Par Serge Leterrier


« J'ai utilisé les films pour construire ma féminité. Je sais exactement ce que le cinéma nous a fait. Nous nous sommes construites à partir de la construction du rêve de quelqu'un d'autre. » Rebecca Zlotowski


Rebecca Zlotowski nous livre avec Vie privée un objet filmique singulier qui interroge autant qu'il séduit. Présenté hors compétition lors de la 78e édition du Festival de Cannes, ce sixième long métrage marque un tournant dans la filmographie de la cinéaste française. L'œuvre se révèle être une méditation subtile sur les non-dits, les refoulements et cette capacité qu'ont les êtres humains à se mentir à eux-mêmes avec une constance remarquable.


Virginie Efira, Jodie Foster Dans Vie Privée  | Copyright Jérôme Prébois
Virginie Efira, Jodie Foster Dans Vie Privée | Copyright Jérôme Prébois

L'événement premier de ce film réside dans le retour de Jodie Foster au cinéma français. Vingt et un ans après Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet, l'actrice américaine accepte enfin de porter un rôle principal entièrement en français. Foster incarne Lilian Steiner, psychiatre parisienne reconnue dont l'univers s'effrite après le suicide présumé de l'une de ses patientes, Paula, magnifiquement campée par Virginie Efira. Ce choix casting révèle la volonté de la cinéaste de confronter deux traditions cinématographiques, américaine et française, à travers une intrigue qui emprunte autant à Hitchcock qu'au cinéma d'auteur hexagonal.


La réalisatrice, qui avait déjà exploré les méandres de la psyché féminine dans Les enfants des autres, pousse ici sa réflexion vers des territoires plus troubles. Lilian Steiner devient le symptôme d'une époque où l'expertise professionnelle ne suffit plus à masquer les failles intimes. Cette psychiatre aux certitudes ébranlées incarne une génération de femmes prises entre leurs acquis sociaux et leurs aspirations refoulées. Elle dessine avec finesse le portrait d'une héroïne aux mille visages : professionnelle accomplie, ex-épouse détachée, mère absente.


L'intrigue qui semble à priori simple, se révèle d'une complexité narrative fascinante. Persuadée que Paula a été assassinée, Lilian se lance dans une enquête obsessionnelle qui la mène progressivement vers ses propres zones d'ombre. Cette investigation devient prétexte à une plongée vertigineuse dans l'inconscient de l'héroïne, transformant le thriller en voyage intérieur. Rebecca Zlotowski manie avec virtuosité les codes du genre pour les détourner vers une exploration psychanalytique où les séances d'hypnose remplacent les interrogatoires policiers.


Le film navigue avec une aisance déconcertante entre plusieurs registres. Tour à tour comédie de mœurs, thriller psychologique et drame intimiste, Vie privée refuse les catégories. Cette hybridation générique devient une force d'écriture visuelle. La réalisatrice assume pleinement cette ambiguïté tonale, créant un objet filmique inclassable qui évoque simultanément Vertigo d'Hitchcock, Meurtres mystérieux à Manhattan de Woody Allen et l'univers de Claude Sautet.


Daniel Auteuil, dans le rôle de l'ex-mari complice, apporte une dimension supplémentaire à cette mécanique d’une ambigüité redoutable. Son personnage devient le miroir bienveillant des errances de Lilian. Leur relation, empreinte d'une tendresse désabusée, révèle l'une des forces majeures du film : sa capacité à redéfinir les codes de la comédie de remariage en plaçant l'amitié au sommet de la hiérarchie sentimentale.


La dimension psychanalytique de l’histoire pousse la logique freudienne jusqu'à ses limites, faisant du rêve et de l'inconscient les véritables lieux de résolution de l'énigme. Lilian, incapable d'entendre sa propre détresse, ne peut décrypter celle de sa patiente disparue. L'enquête criminelle devient alors métaphore d'une introspection nécessaire.


L'interprétation de Jodie Foster mérite une attention particulière. L'actrice, parfaitement bilingue mais longtemps réticente à s'exprimer en français au cinéma, livre ici une performance d'une subtilité remarquable. Son accent devient un atout qui souligne l'entre-deux culturel de son personnage. Cette psychiatre américaine installée à Paris incarne parfaitement les questionnements identitaires qui traversent l'œuvre de la cinéaste.


Virginie Efira, bien que présente seulement quelques minutes à l'écran, hante littéralement le film. Sa Paula, révélée principalement à travers les souvenirs et fantasmes de Lilian, devient progressivement l'obsession centrale du récit. Cette absence-présence génère une tension constante qui propulse l'intrigue vers ses révélations finales.


Le traitement visuel épouse parfaitement les méandres psychologiques du récit. Rebecca Zlotowski privilégie une approche intimiste, filmant ses personnages dans des espaces clos qui reflètent leurs enfermements intérieurs. Paris devient décor mental autant que géographique, ses rues et ses appartements se transformant en extensions de la psyché troublée de l'héroïne.


L'écriture, coréalisée avec la romancière Anne Berest, révèle une maîtrise remarquable des dialogues. Chaque réplique semble ciselée, portant en elle plusieurs niveaux de lecture. Cette précision scripturale transforme les échanges en révélateurs psychologiques, créant une tension dramatique constante sous une surface de normalité bourgeoise.


En choisissant de filmer une psychiatre enquêtrice, la réalisatrice interroge implicitement les mécanismes de la création artistique. Comme elle, Lilian scrute, analyse, interprète les signes pour reconstituer une vérité cachée.


La question du désir lesbien, subtilement évoquée dans le film, ajoute un relief supplémentaire à la lecture de l'œuvre. Rebecca Zlotowski ne fait pas mystère de l'attraction de Lilian pour sa patiente disparue, révélée lors des séances d'hypnose. Cette révélation tardive éclaire rétrospectivement l'ensemble du récit, transformant l'enquête criminelle en quête identitaire.


Jodie Foster Dans Vie Privée  | Copyright Georges Lechaptois
Jodie Foster Dans Vie Privée | Copyright Georges Lechaptois

Vie privée s'impose finalement comme un film sur la difficulté d'être soi dans un monde qui privilégie les apparences. La sortie prévue en novembre 2025 permettra au public français de découvrir cette œuvre singulière. Au-delà du retour de Jodie Foster au cinéma français, Vie privée met en exergue une cinéaste en pleine possession de ses moyens artistiques. Elle signe, là,  une œuvre mature qui interroge nos certitudes tout en offrant un spectacle d'une intelligence rare.



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