TRON : ARES
- Serge Leterrier

- 22 sept.
- 5 min de lecture
TRON : ARES
Le Réveil d'un Mythe Électronique
Un film de Joachim Rønning
Par Serge Leterrier
Quand le néon rencontre l'âme : réflexions sur l'héritage cybernétique qui renaît
Il existe des films qui marquent une génération, puis disparaissent dans l'oubli collectif, et d'autres qui s'ancrent si profondément dans l'imaginaire qu'ils deviennent prophétiques. Tron, sorti en 1982, appartenait indéniablement à cette seconde catégorie. Quarante-trois ans plus tard, alors que l'intelligence artificielle façonne notre quotidien avec une urgence que Steven Lisberger n'avait peut-être pas anticipée, Tron : Ares s'apprête à franchir les écrans le 8 octobre 2025. Cette fois, ce n'est plus l'homme qui pénètre dans la machine, mais la machine qui vient à nous.

L'Inversion du Paradigme Originel
L'annonce du synopsis révèle immédiatement l'audace conceptuelle de cette nouvelle œuvre : un Programme hautement sophistiqué appelé Ares est envoyé du monde numérique vers le monde réel pour une mission dangereuse, marquant la première rencontre de l'humanité avec des êtres issus de l'IA. Cette inversion narrative n'est pas anodine. Là où Kevin Flynn était aspiré dans la Grille, Ares traverse dans l'autre sens, incarnant nos angoisses contemporaines face à l'émergence d'entités artificielles autonomes.
Cette prémisse résonne avec une actualité brûlante. En 2025, l'IA n'est plus de la science-fiction mais une réalité omniprésente, soulevant des questions existentielles sur la nature de la conscience, l'authenticité de l'émotion artificielle et les limites de notre humanité. Le personnage d'Ares, confié à Jared Leto, devient ainsi le miroir de nos propres interrogations : que se passe-t-il quand l'intelligence que nous avons créée développe ses propres intentions?
L'Héritage Visuel d'une Esthétique Révolutionnaire
Se replonger dans l'univers Tron original, c'est retrouver cette sensation unique d'avoir franchi un seuil esthétique. Les néons bleutés traçant leurs géométries parfaites dans l'obscurité numérique, les motos lumineuses filant sur des circuits impossibles, cette architecture cristalline où chaque ligne semblait dessinée par un dieu mathématicien - tout cela créait une beauté glacée, presque religieuse. Disney et Joachim Rønning, le réalisateur choisi pour orchestrer ce retour, portent la lourde responsabilité de réinventer cette iconographie sans la trahir.
Tron : Legacy en 2010 avait déjà tenté cet équilibre délicat, avec un succès mitigé. Si la bande sonore de Daft Punk demeure un chef-d'œuvre intemporel et que certaines séquences visuelles atteignaient des sommets de pure poésie cybernétique, l'ensemble souffrait d'une certaine froideur dans l’écriture. La question demeure : comment insuffler une âme humaine à un univers fondamentalement déshumanisé ?
Jared Leto, Avatar d'une Génération Digitale
Le choix de Jared Leto pour incarner Ares révèle une intelligence casting remarquable. L'acteur, musicien et entrepreneur technologique, incarne cette génération qui a grandi avec Internet, qui maîtrise les codes du numérique tout en conservant une dimension artistique profonde. Son Ares ne sera pas seulement un Programme, mais probablement une métaphore de cette jeunesse hyper connectée qui navigue entre réel et virtuel avec une fluidité déconcertante pour les générations précédentes.
Le casting complémentaire - Greta Lee, Evan Peters, Hasan Minhaj, Jodie Turner-Smith, Arturo Castro, Cameron Monaghan, Gillian Anderson et Jeff Bridges - suggère une volonté de diversité générationnelle et culturelle. Jeff Bridges, figure tutélaire de la saga, apporte cette continuité nostalgique indispensable, tandis que les autres interprètes représentent cette nouvelle garde du cinéma américain, à l'aise avec les enjeux technologiques contemporains.

L'Intelligence Artificielle Comme Nouveau Frankenstein
Au-delà du spectacle visuel, Tron : Ares porte en lui les germes d'une réflexion philosophique majeure. En 1982, l'informatique était encore perçue comme un outil, une extension de l'intelligence humaine. Aujourd'hui, elle développe ses propres logiques, ses propres objectifs, parfois en contradiction avec nos intentions initiales. Le mythe de Prométhée, qui vola le feu aux dieux, trouve ici une résonance nouvelle : nous avons volé le feu de l'intelligence elle-même.
Ares, en tant que Programme conscient, incarne cette peur ancestrale de la créature qui dépasse son créateur. Mais contrairement aux récits dystopique traditionnels, Tron a toujours maintenu une ambiguïté morale fascinante. Les Programmes ne sont ni entièrement bons ni entièrement mauvais ; ils reflètent la complexité de leurs créateurs humains. Cette nuance, si elle est préservée dans Ares, pourrait élever le film au-dessus du simple divertissement pour en faire une méditation sur notre époque.
Le Défi de la Troisième Dimension Narrative
Joachim Rønning, connu pour ses blockbusters efficaces (Pirates des Caraïbes: La Vengeance de Salazar, Maléfique: Le Pouvoir du mal), doit relever un défi considérable : créer non pas un simple spectacle technologique, mais une œuvre qui dialogue avec son temps. Tron original réussissait ce prodige en anticipant l'ère numérique ; Ares doit maintenant nous aider à la comprendre.
La promesse d'une « première rencontre de l'humanité avec des êtres issus de l'IA » soulève des enjeux dramaturgiques fascinants. Comment représenter cette altérité radicale ? Comment montrer l'intelligence artificielle sans tomber dans l'anthropomorphisme naïf ou la déshumanisation totale ? Ces questions techniques sont aussi des questions existentielles.
L'Héritage Musical et Sonore
On ne peut évoquer Tron sans mentionner sa dimension sonore révolutionnaire. Wendy Carlos avait créé pour l'original une partition électronique visionnaire, mêlant synthétiseurs et orchestre symphonique. Daft Punk avait relevé le défi avec brio pour Legacy. Nine Inch Nails a pris le relais avec plus de 70 minutes de musique nouvelle pour cette bande originale de 24 titres, un choix qui s'annonce radical et parfaitement en phase avec l'univers cyberpunk de la saga. Cette dimension musicale sera cruciale pour établir l'identité de Ares et créer cette immersion sensorielle totale qui caractérise l'univers Tron.
Le sound design, les effets sonores, la spatialisation audio - autant d'éléments qui détermineront si le film parvient à recréer cette sensation d'être littéralement aspiré dans un autre monde. L'évolution technologique du cinéma permet aujourd'hui des expériences auditives d'une richesse inouïe ; Ares saura-t-il en tirer parti ?
L'Attente d'une Génération
Quarante ans après le premier opus, Tron : Ares arrive à un moment charnière de l'histoire technologique. Les enfants qui découvraient l'informatique en 1982 dirigent aujourd'hui les entreprises qui façonnent notre avenir numérique. Cette génération, nourrie des rêves et des cauchemars de Tron, attend de ce nouveau chapitre qu'il éclaire les zones d'ombre de notre présent.
Car c'est bien là l'enjeu véritable du film, alors parviendra-t-il à renouveler sa fonction prophétique ? L'original nous préparait à l'ère des ordinateurs personnels et d'Internet ; Legacy anticipait les réseaux sociaux et la réalité virtuelle. Que nous révélera Ares sur l'intelligence artificielle, la robotique avancée, et peut-être même sur l'émergence de formes de conscience non-humaines ?

Le Réveil d'un Mythe Nécessaire
Tron: Ares porte sur ses épaules numériques le poids de l'héritage et l'espoir de la nouveauté. Dans un paysage cinématographique saturé de suites et de remakes, cette œuvre a l'opportunité rare de justifier son existence par sa pertinence contemporaine. Elle arrive au moment où l'humanité commence à peine à mesurer les implications de ses propres créations numériques.
Le 10 octobre 2025 marquera-t-il le retour triomphant d'un mythe fondateur du cinéma de science-fiction, ou assistera-t-on à une tentative nostalgique de ressusciter une esthétique dépassée ? La réponse dépendra de la capacité du film à transcender le simple spectacle pour devenir ce que Tron a toujours été dans ses meilleurs moments : un miroir de notre rapport à la technologie, une méditation visuelle sur l'âme à l'ère numérique.
En attendant, les néons s'allument déjà dans l'obscurité de nos attentes. Ares s'apprête à franchir la frontière entre deux mondes. Nous, spectateurs du XXIe siècle, nous tenons prêts à l'accueillir dans le nôtre.


