DIE MY LOVE
- Serge Leterrier
- 19 mai
- 5 min de lecture
DIE MY LOVE
Un film de Lynne Ramsay
« Crève mon amour » secoue la Croisette
Par Serge Leterrier
Die My Love, cinquième long-métrage de la réalisatrice britannique Lynne Ramsay avec Jennifer Lawrence et Robert Pattinson, a fait son entrée remarquée en compétition officielle au Festival de Cannes 2025. Adaptation du roman d'Ariana Harwicz, ce thriller psychologique explore les tourments d'une jeune mère confrontée à ses propres démons dans un cadre rural isolé. Produit par Martin Scorsese et Lawrence elle-même, ce film de 118 minutes s'inscrit comme l'un des prétendants sérieux à la Palme d'Or de cette 78ème édition cannoise.

Grace, interprétée par Jennifer Lawrence, sombre progressivement dans une psychose qui la détache de sa réalité quotidienne. Le film explore les territoires sombres de la dépression post-partum et de la désintégration mentale, dans une société qui impose aux femmes le masque de la maternité heureuse.
Le récit, transposé dans la campagne américaine du Montana alors que le roman original se déroulait en France, suit cette femme dont le mariage avec Jackson (Robert Pattinson) se fracture inexorablement. La tension entre normalité apparente et chaos intérieur constitue la colonne vertébrale de cette œuvre décrite par sa réalisatrice comme « un film sur la santé mentale et la rupture d'un mariage ».
Huit ans après You Were Never Really Here, Lynne Ramsay revient avec un film qui porte indéniablement sa signature : beauté visuelle saisissante, exploration des traumatismes psychologiques et refus de tout compromis narratif. Celle qui avait déjà abordé les troubles parentaux dans We Need To Talk About Kevin (2011) poursuit son exploration des relations familiales dysfonctionnelles, teintée d'un humour noir caractéristique.
« C'est mon genre de comédie et d'histoire d'amour, donc ce sera sombre et dérangé », a confié la cinéaste britannique lors d'une interview préparatoire au festival. Cette approche sans concession a déjà valu à La réalisatrice des récompenses prestigieuses, notamment le Prix du scénario à Cannes en 2017 pour A Beautiful Day - film qui avait également permis à Joaquin Phoenix de décrocher le Prix d'interprétation masculine.
L'alliance Jennifer Lawrence-Robert Pattinson représente l'une des combinaisons d'acteurs les plus excitantes de cette édition cannoise. L'actrice oscarisée, également productrice du film via sa société Excellent Cadaver, incarne Grace avec une intensité qui rappelle ses performances les plus marquantes. Jennifer Lawrence, qui avait personnellement envoyé le roman à Ramsay pour lui proposer l'adaptation, démontre une fois de plus son engagement dans des projets artistiquement ambitieux au-delà de son statut de star hollywoodienne.
Face à elle, Robert Pattinson confirme son attrait pour les rôles complexes et les cinéastes visionnaires. L'acteur britannique, qui s'est imposé comme l'un des interprètes les plus audacieux de sa génération depuis ses collaborations avec David Cronenberg ou les frères Safdie, apporte une dimension trouble au personnage de Jackson. Sa préparation minutieuse, notamment pour une scène de danse qu'il redoutait particulièrement et pour laquelle il a pris des cours spécifiques, met en évidence son perfectionnisme.
Autour de ce duo central gravitent des acteurs confirmés comme Lakeith Stanfield, Sissy Spacek et Nick Nolte, dont les présences renforcent l'impression d'un projet artistique de premier plan.
L'histoire de la production de Die My Love reflète les turbulences récentes de l'industrie cinématographique américaine. Initialement prévu pour 2023, le tournage a dû être reporté en raison de la grève historique des scénaristes et acteurs d'Hollywood, qui a paralysé la production pendant plusieurs mois.
Le projet, annoncé en novembre 2022 avec Jennifer Lawrence déjà attachée, a finalement pu démarrer sa production en août 2024. Le tournage s'est déroulé pendant deux mois intenses à Calgary et dans ses environs au Canada, s'achevant le 16 octobre 2024. Martin Scorsese, producteur du film via sa société Sikelia Productions, apporte sa caution artistique à cette œuvre qui navigue entre cinéma indépendant et projet d'envergure.
Le processus d'écriture a impliqué plusieurs talents reconnus. Si Lynne Ramsay a naturellement supervisé l'adaptation, elle s'est d'abord adjoint les services du dramaturge Enda Walsh pour une première version du scénario, avant de finaliser elle-même le texte définitif. Alice Birch, scénariste britannique remarquée pour son travail sur Lady Macbeth et la série Normal People a également contribué à cette adaptation complexe.
Sur le plan visuel, Die My Love s'annonce comme une expérience sensorielle puissante. Le directeur de la photographie Seamus McGarvey, qui avait déjà collaboré avec Ramsay sur We Need To Talk About Kevin, a opté pour un tournage en pellicule 35mm et un format d'image inhabituel en 1.33:1, dit « format académique ». Ce choix esthétique radical, qui privilégie un cadre presque carré plutôt que les formats panoramiques habituels, participe à l'atmosphère « claustrophobique » du récit.
Seamus McGarvey et Lynne Ramsay ont puisé leur inspiration visuelle dans les classiques du cinéma psychologique des années 1960, particulièrement Repulsion et Rosemary's Baby de Roman Polanski. La bande-annonce, dévoilée peu avant le festival, révèle des images sensuelles et inquiétantes : un champ de blé baigné de soleil où les deux protagonistes s'approchent « comme des chats », culminant dans une étreinte filmée en travelling panoramique d'une grande intensité érotique.
La dimension sonore n'est pas en reste, avec une collaboration musicale entre la réalisatrice et le compositeur George Vjestica, incluant même des enregistrements réalisés par Jennifer Lawrence. Cette approche multi sensorielle qui entrainera certainement le spectateur dans une immersion totale au sein de l'esprit fracturé du personnage principal.
Dans la compétition cannoise particulièrement relevée de cette 78ème édition, Die My Love s'impose comme l'un des films le plus commenté, malgré son accès difficile pour le commun des mortel. Sa projection officielle, prévue de ce samedi 17 mai, s'inscrit dans une journée marathon où deux autres œuvres concourent également pour la prestigieuse Palme d'Or : Renoir de la Japonaise Chie Hayakawa et Nouvelle Vague de l'Américain Richard Linklater.
Lynne Ramsay, auteure respectée et plébiscitée, n'a jamais remporté le prix suprême. Cette adaptation ambitieuse pourrait-elle lui permettre de décrocher enfin la reconnaissance ultime du festival le plus prestigieux au monde ? La question est sur toutes les lèvres alors que critiques et professionnels viennent de découvrir ce thriller psychologique.
Télérama titre : « une folie post-partum vraiment pas dingue »
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Le film, quelle que soit sa réception critique, marque en tout cas l'aboutissement d'un projet passionné pour Jennifer Lawrence, dont l'implication comme productrice témoigne d'une volonté de défendre un cinéma d'auteur exigeant. Il représente également un tournant possible dans la carrière de la réalisatrice, dont la filmographie espacée mais cohérente continue d'explorer les zones d'ombre de l'âme humaine avec une sensibilité unique.
Die My Love apparaît comme un plaidoyer pour un cinéma d'auteur ambitieux qui ne renonce ni à la profondeur psychologique ni à l'impact visuel.

Au-delà des paillettes et du tumulte festivalier, certaines œuvres parviennent à se détacher du reste de la compétition et malgré quelques incohérences scénaristiques ce film fait partie de ceux-là. Les œuvres qui osent explorer l'âme humaine dans ses recoins les plus obscurs portent souvent en elles une vérité universelle, touchant au plus profond de notre humanité partagée. Qu'il soit couronné ou non lors de la cérémonie de clôture, ce film incarne la persistance d'un cinéma exigeant qui refuse la facilité narrative et esthétique. Dans un paysage audiovisuel saturé de propositions formatées, ces instants de grâce artistique nous permette de savoir pourquoi nous continuons, année après année, à pénétrer dans les salles obscures : pour cette communion silencieuse face aux tourments magnifiés de l'existence, pour ces moments suspendus où l'art se place bien au-delà du divertissement et vient percuter nos consciences avec la force d'une révélation.
Vision de la compétition cannoise 78e édition - du 19 mai 2025
BANDE ANNONCE
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