Anatomie d’une chute
De Justine Triet
Article de Serge Leterrier
« Je suis très émue, je n'avais pas trop imaginé ça », a confié la réalisatrice, française Justine Triet au journaliste de France Info qui l’interrogeait sur ses 5 nominations aux Oscars pour son film « Anatomie d’une chute ».
Ce mardi 23 janvier l’Académie des arts et des sciences du cinéma a officiellement dévoilée à la presse et au public les nominations de la 96ème cérémonie des Oscars. Et dans la liste des nominés ce long métrage français « Anatomie d’une chute » de Justine Triet.
Anatomie d’une ascension
« Anatomie d’une chute » Palme d’or à Cannes... film co-écrit et réalisé par la française Justine Triet vient d’être nominé par l’Académie des Oscars dans les catégories "meilleur film", "meilleure réalisation", "meilleure actrice" pour l'actrice Sandra Hüller, "meilleur montage" et "meilleur scénario original". La soirée des Oscars sera animée par le présentateur américain Jimmy Kimmel. Elle aura lieu le 10 mars prochain et sera retransmise en exclusivité et en direct par Canal+.
« C'est très touchant de partager ça et d'être tous ensemble dans cette nomination. Je pleure rarement, mais ça m'a bouleversée… », dira Justine Triet (https://www.francetvinfo.fr/)
Une Palme d'or au Festival International du Film de Cannes en mai 2023, sept nominations aux Bafta britanniques, deux Golden Globes (meilleur scénario et meilleur film en langue étrangère) et à ce jour 1,3 million d'entrées en France...
"Je pense que le film ne nous appartient plus, maintenant. C'est un objet qui n'est plus à nous et c'est ce qu'il y a de merveilleux quand on crée quelque chose, dans l'art : c'est quand ce quelque chose ne nous appartient plus, que les autres se l'approprient."
Le parcours de Justine Triet est un modèle du genre et nous pouvons avancer allègrement qu’elle a marqué, depuis quelques années, sa présence au Festival de Cannes. Déjà en 2013 avec son premier long-métrage « La bataille de Solferino » faisant partie de la sélection de l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) qui chaque année, pendant le festival, propose un choix de longs-métrages, de fictions et de documentaires. En 2016, « Victoria » (In Bed with Victoria) son deuxième long-métrage est choisi pour faire l’ouverture de la 55ème Semaine de La Critique (Cannes). En 2019 c’est au tour de son film « Sybil » qui se retrouve en compétition officielle. Et enfin en 2023 « Anatomie d’une chute » le dernier film de Justine Triet qui rafle la Palme d’Or pour devenir la troisième femme récompensée par le FIF de Cannes. (Le premier long-métrage était « La leçon de Piano », un magnifique film de Jane Campion néozélandaise ainsi que « Titane » de de Julia Ducournau, française elle aussi, un film controversé sur la croisette et par les critiques mais qui a eu le mérite de recevoir l’ultime récompense.)
Synopsis – l’Anatomie d’une chute
Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple.
Entre thriller et psychodrame
Un long-métrage qui n’est pas sans rappeler le film d’Otto Preminger l' « Anatomie d'un meurtre » en 1959, qui se présente surtout comme l'analyse minutieuse d'un procès fondé sur l'examen objectif et approfondie des circonstances et des motivations. « Anatomie d’une chute » est une réflexion complexe sur le couple et la parentalité. On pense immédiatement à l’univers d’Ingmar Bergman qui dans sa filmographie proposera une œuvre s'attachant à des thèmes relatifs à l'introspection psychologique (Les Fraises sauvages, Persona) ou familiale (Cris et Chuchotements, Fanny et Alexandre) et à l'analyse des comportements du couple (Scènes de la vie conjugale).
Ce film est singulier, non pas en fonction de la chute de Samuel (La victime), mais par l’intimité d’un couple d’artiste dans le déclin vivant dans une apparente harmonie avant que l’accident de leur fils, par le manque d’attention du père, ne les plonge dans une spirale toxique aux émanations funestes.
Les critiques verront dans ce film une justesse dans le scénario, dialogues (co-écrit avec son compagnon Arthur Harari le réalisateur de Onoda) et l’interprétation des acteurs. Une réflexion sur le couple. La caméra de Justine Triet semble être d’une incroyable acuité dans sa précision et ses mouvements. Une intrigue au millimètre se faufilant dans l’espace solennel de l’éloquence au sein de la justice qui est présente et pesante dans ce film, mettant ainsi l’art oratoire au service du suspense pour tenir en haleine le spectateur jusqu’au dénouement.
Un film policier entre thriller et psychodrame qui emporte le public dans une immersion haletante entre culpabilité et suspicion, pour assister au procès de Sandra Voyter. Et devenir dans cette assise, le juré désigné - Suicide ou meurtre ? C’est là le principal problème…
Mais est-ce aux spectateurs d’en décider… Je ne crois pas, car la justice de l’homme pose un jugement qui ne sera pas forcement le même que celui de l’enfant non voyant qui se doit de défendre une hypothèse qui deviendra choix. C’est alors au fils de condamner ou non sa mère, de décider de sa monstruosité. Le procès, ainsi posé, devient une allégorie de cette communication rompue dans les franges d’une conspiration familiale, seul le chien de Daniel est témoin et garant de la vérité… Alors, allez voir ce film pour vous en faire une idée !
Et en dehors de la polémique qui a enflammée la Croisette avec les propos de Justine Triet qui défendait, entre autres, l’exception culturelle française, ce long-métrage transporte en lui et ce grâce à sa réalisatrice tous les ingrédients d’un très bon film.
Un art visuel qui répond à la question, pourquoi les cinéphiles vont au cinéma ?
Uniquement pour être le spectateur d’œuvres magistrales dans l’écriture, la réalisation, l’interprétation, le montage et qui a fait que ce film obtient 5 nominations aux Oscars.
Une bien belle intention cinématographique dans l’anatomie d’une ascension, fut-elle celle de Justine Triet et de son équipe.
Longue vie et de nombreuses récompenses pour ce chef d'oeuvre...