« Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz »
Un pièce de Théâtre mise en scène par Christophe Daci
Article de Serge Leterrier
« Tous les rêves partent d’une gare, fut-elle celle de ce moment éphémère où la liberté se fait « présent ». Pour ces six femmes, ce sera la gare d’Austerlitz… »
C’est avec cette citation que je vous présente la pièce de théâtre « Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz » de Mohamed Kacimi. Mise en scène Christophe Daci qui se jouera à tous les samedis soir à 21 h 30 au Théâtre Clavel, 3 rue Clavel 75019 Paris, jusqu'au 16 mars (relâche le 24 février.)
« Quand une femme passe la porte de cette maison elle n'existe plus, ni pour ses enfants, ni pour ses parents, ni pour son mec ; T'es plus une femme, t'es plus qu'un trou de mémoire. » Lili
Pitch
Cinq femmes détenues en maison d'arrêt ont pris l'habitude de se retrouver à la bibliothèque pour échanger sur leur histoire, leur quotidien et leurs blessures. Le soir de Noël, alors qu'elles préparent la soirée du réveillon et les cadeaux à envoyer aux enfants, débarque une primo-arrivante, Frida, arrêtée pour l'enlèvement de sa fille Alice, 14 ans. Dénoncée au moment où elle lui achetait On ne badine pas avec l'amour, d'Alfred de Musset, elle est encore sous le choc et submergée de culpabilité. Pour la soutenir, ses codétenues décident sur le champ de jouer toutes ensemble quelques scènes de la pièce de Musset et de se filmer afin d’en envoyer la vidéo à la fille de Frida. Elles se confrontent alors aux personnages de la pièce qui les interrogent sur leurs propres valeurs, leur rapport à l'amour ou à la religion.
L’auteur
Mohamed Kacimi est un romancier, dramaturge, poète, essayiste et traducteur Algérien. Devenu président de l'association Écritures Vagabondes, il parcourt le monde pour mettre en place des chantiers d'écriture. Il travaille à Toronto, Montréal, Anvers, Damas et Alep.
C’est en 2018 que Mohamed Kacimi écrit la pièce « Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz ». Ces femmes-là, il les a bien rencontrées, au fil d'ateliers d'écriture donnés à Fleury-Mérogis.
L’intention de Mohamed Kacimi, dans cette pièce de théâtre, est de rendre un hommage singulier et sans complaisance aux femmes recluses, enfermées dans la plus grande solitude, victimes, malheureusement nombreuses, de la violence des hommes et qui démunies vont faire de ce vide existentiel un nouveau paradigme où elles vont ensemble incarner la liberté et l’humanité dans l’utopie de leurs rêves. L’auteur déroule son histoire dans cet univers particulier relatif au quotidien de ces femmes incarcérées. Un sujet qui est, en fin de compte, peu évoqué en fiction. Servi par un très beau texte parfaitement dirigé par l’auteur à travers la vision et l’imaginaire de chacune de ces femmes obligées de réinventer la réalité pour espérer sauver le peu d’intégrité qu’elles ont. Un texte qui donne du relief à chacune des personnalités bien tranchées par le biais de raisons sociétales telles que la maternité, l’euthanasie, le viol, l’inceste, le non-dit, la misère sociale et la féminité aussi. Un bilan sur la société et l’image qu’elle nous renvoie. Histoire de passer, dans cette pièce de théâtre du rire aux larmes distillant la fantaisie face aux drames qui nous entourent…
La pièce
« Vous jouez à quoi ? », leur demande Frida. « On joue à être libres », « On joue à être joyeuses », « On joue à être rassasiées » répondent-elles. « On joue à ne pas être là. »
Leurs illusions, ces femmes les projettent sur la cour, juste derrière les barreaux, seul et unique point extérieur que la réalité leur offre. Un environnement glauque et sordide où les femmes ne sont plus femmes, mais seulement des illusions dans les nuances de l’oubli. Une ambiance dramatique face au clair/obscur de leur imaginaire. Christophe Daci, le metteur en scène de la pièce, dira à ce propos :
« Mon idée, à travers la scénographie, était de partir du lieu : la bibliothèque d'une prison, grise, froide, déshumanisée et de faire vivre leurs rêves, leurs fantaisies et leurs traumatismes en les accompagnant avec des changements de lumière qui suivent leurs états. »
Frida ne supporte pas d’être séparée de sa fille Alice, elle veut mourir. Pour la sauver, les détenues vont avoir l’idée de jouer l’une des scènes de la pièce d’Alfred de Musset. Au fur et à mesure qu’elles avancent dans ce projet elles réalisent que les personnages font échos à leurs parcours, à leurs blessures et se confondent terriblement avec elles.
Avec ces femmes, le public s’aperçoit qu’il est, lui aussi, derrière les barreaux. Et avec elles le spectateur est emporté par le souffle de Musset traversant un univers déshumanisé, un monde contemporain contaminé par la violence quotidienne, la religion, le profit, le pouvoir des hommes qui blessent profondément ces femmes, prisonnières de leurs geôliers.
Alors que reste-t-il quand nous avons tout perdu et que tout semble compromis ?
Peut-être l’imaginaire, le rêve, comme une porte entrouverte vers l’espérance.
C’est Noël, la neige dissipe, pour un instant, les barreaux avec le leitmotiv que la culture peut transcender la société et la rendre plus belle… Est-on prêt à y croire ?
Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz
Une pièce de Mohamed Kacimi, mise en scène de Christophe Daci, musique Antoine d’Eté
Avec : Liliane Meynaud, Isabelle San Augustin, Catherine Juliéron, Léna Soulié, Tatiana Shunk, Justine Dalmat
Au Théâtre Clavel, 3 rue Clavel 75019 Paris,
Les samedis soir à 21h30 jusqu'au 16 mars (relâche le 24 février).
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