La zone d’intérêt
Un film de Jonathan Glazer
Un article de Serge Leterrier
La Zone d’Intérêt est un film radicalement ouvert qui refuse de fermer la porte sur l’Histoire. Et comme le précise le réalisateur « Elle demeure dangereusement et éternellement entrouverte »…
Le long-métrage dramatique et historique de Jonathan Glazer a été nominé aux Oscars dans 5 catégories, dont celle du « meilleur film ». L’œuvre du cinéaste a également remporté en 2023 le Grand Prix et le Prix FIPRESCI au Festival du Film International de Cannes.
« Je ne voulais pas avoir l’impression de faire un film sur cette période [de l’Histoire] pour le mettre dans un musée », témoigne Glazer. « Nous parlons ici de probablement l’une des pires périodes de l’histoire de l’humanité, mais nous ne pouvons pas dire ‘mettons-la au placard’ ou ‘il ne s’agit pas de nous, nous sommes à l’abri de tout ça, c’était il y a 80 ans’. Nous ne pouvons pas nous dire que cela ne nous concerne plus. Clairement, cela nous concerne, et c’est troublant de le constater, mais cela sera peut-être toujours le cas. Donc je voulais porter un regard moderne sur le sujet. »
Synopsis
Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss (Christian Friedel), et sa femme Hedwig Höss (Sandra Hüller) s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans un pavillon avec jardin à côté du camp.
« D’une certaine façon, pour moi, le sujet du film est devenu ce mur. Le cloisonnement de leurs vies et l’horreur vécue juste à côté. » Jonathan Glazer
La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer est un film glaçant dont la froideur se diffuse lentement dans la profondeur de nos émotions. C’est dans une ambiance qui peut sembler banale et inoffensive que s’installe ce chef-d’œuvre terrifiant. Le quotidien de cette famille qui devient, au fil des minutes, insoutenable tant ce mur se définit comme un écran d’indifférence séparant ce Jardin d’Eden avec piscine et plantation de l’ignominie parfaitement entretenue et nourri par les cendres d’Auschwitz. Une image indécente au regard et à la réflexion du spectateur qui suit avec horreur cette normalité rentrant en contraste avec cette Zone d’intérêt (de 40km²) entourant le camp. Un message sensoriel projeté sur notre conscience trouvant sa monstrueuse réalité par les sons, en bruits de fond, que les Höss n’entendent plus. Des sons qui se diffusent sournoisement par une écoute intrusive de cris, de pleurs, des hurlements et des ordres lancés avec agressivité, de coups de feu aussi, sans oublier ces sons effroyables non identifiés qui tétanisent les témoins que nous sommes. Par-delà le mur, nous percevons également le panache de fumée des trains qui arrivent et repartent du camp dans une cadence infernale, mais aussi l’émanation grise sortant des cheminées de certains bâtiments. Ces cendres alimentant les plantations du jardin de cette famille impitoyable se préoccupant plutôt de leur niveau social que du génocide qui était en train de s’inscrire dans la mémoire des hommes à travers la Shoah.
« Réaliser ce film a été un drôle de travail, parce qu’il fallait que je sois extrêmement minutieux et discipliné sur ce que la caméra allait voir, tout en laissant de la place dans les cadres pour une improvisation totale », dit Glazer. « Certaines scènes sont improvisées, d’autres écrites de façon très précise. Dans les deux cas, je savais qu’on pouvait toujours refaire une prise, mais je ne pouvais pas entrer dans le champ pour déplacer une chaise. Donc on se libère de la continuité. On se débarrasse de l’éclairage. On enlève tous les aspects ennuyeux de la réalisation, parce qu’on sait qu’on ne peut pas intervenir de la façon dont on le ferait habituellement. C’était parfois très frustrant pour moi. Par certains côtés, j’ai dû lâcher sur la micro gestion. »
Un parti-pris du réalisateur pour syncrétiser en un regard globalisant le génocide des juifs, dans l’un des plus actifs camps de concentration, à travers l’indifférence d’une famille nazi. Les images de Jonathan Glazer sont simples et efficaces signifiant ce hors champ dans une industrialisation épouvantable de la mort. Une simplicité évidente de ce jeu de caméras qui, dans une mise en scène précise et calculée, nous pousse à vivre le quotidien de la famille Höss, dans l’inacceptable odeur d’un holocauste visuel et sonore. Impressionnante construction que ce long-métrage adapté d’un roman polémique de Martin Amis qui révèle et réussit à lui seul à suggérer des images indispensables au devoir de mémoire. A savoir que malgré la présence permanente de l’audiovisuel au moment de la Seconde Guerre mondiale, l’holocauste n’a pas eu de couverture, les nazis ayant masqué les sources qui auraient pu exister à cette période. C’est donc à travers ce mur d’incompréhension que nous pouvons nous interroger sur l’histoire et ressentir en nous les barbelés qui nous sépare de l’innommable.
Jonathan Glazer s’est aussi illustré avec trois autres longs métrages avant de réaliser « La zone d’intérêt » :
*Sexy Beast avec Ben Kingsley (2000)
Un film de gangsters qui se refusait d'en être un,
*Birth avec Nicole Kidman (2004)
Est un grand film sur les illusions auxquelles on s'accroche pour ne pas faire son deuil ou pour échapper à sa vie.
*Under the Skin avec Scarlett Johansson
Une extraterrestre sexy prend des hommes en stop, les tue pour le compte de son espèce. Jusqu'au jour où sa mission ne se déroule pas comme prévu.
La zone d’intérêt, quatrième long-métrage de Jonathan Glazer est un film perturbant, minimaliste par la parole, mais d’une puissance sourde et émotionnelle par les images et le son. Un film choc. Glaçant le sang en distillant en nous ce devoir de mémoire indispensable à cette humanité qui s’embourbe, encore aujourd’hui, dans des conflits d’incompréhension…
Une émission Ecran Large sur ce film
LA ZONE D'INTÉRÊT : Le premier grand choc de 2024
La zone d’intérêt - de Jonathan Glazer qui signe le scénario
Musique : Mica Lévi
Avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Johann Karthaus…
Sociétés de production : A24, Access Entertainment et Film4
Distribution : A24 (États-Unis, Royaume-Uni), BAC Films (France)
Sortie le 31 janvier 2024 – Durée 1 h 45
Très dure mais tellement nécessaire.
Choc en retour avec ce film admirablement bien réalisé