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Différente

  • Photo du rédacteur: Serge Leterrier
    Serge Leterrier
  • 23 juin
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 29 juin

Différente

Un film de Lola Doillon

Chronique d’une singularité assumée

 

Serge Leterrier

 

« J’ai voulu marier un genre populaire, la comédie romantique, à une différence souvent invisible, pour éprouver, depuis le cœur, ce que cela change à l’amour. » - Lola Doillon


Nous pénétrons avec ce film dans un monde qui dysfonctionne, un quotidien saturé de détails sensoriels, de codes sociaux invisibles, de gestes qui semblent anodins mais qui, pour Katia, la protagoniste, deviennent des montagnes à gravir. La création de Lola Doillon est une immersion dans la mécanique intime d’un esprit qui ne rentre jamais tout à fait dans le moule, une plongée dans la beauté abrupte de l’inadéquation.

 Jehnny Beth, Thibaut Evrard  dans le film Différente | Copyright Memento Distribution
Jehnny Beth, Thibaut Evrard dans le film Différente | Copyright Memento Distribution

Le long métrage  a une puissance visuelle considérable dans sa façon de rendre palpable la différence sans jamais la réduire à un cliché ou à un effet de style. Les plans serrés sur le visage de Katia, sa manière de scruter le monde, de s’accrocher à des routines minuscules, de se heurter à la brutalité du bruit ou de la lumière, tout cela compose un langage sensoriel inédit. Le spectateur est invité à ressentir, à partager l’inconfort, la fatigue, la fulgurance des émotions qui traversent l’héroïne. Cette expérience sensorielle, presque physique, donne au film une force que peu de récits sur la neuroatypie ont su atteindre jusqu’à présent.


La  justesse psychologique du portrait est bouleversante. La solitude de Katia n’est jamais pathétique. Ni héroïne, ni victime, Elle est là, brute, indomptable, parfois drôle, souvent dérangeante. Le film cherche à montrer la complexité de vivre sans filtre dans un monde saturé de faux-semblants. La caméra de Lola Doillon s’attarde sur les silences, les gestes avortés, les micro-révoltes du quotidien : chaque scène devient un champ de bataille invisible où se joue l’essentiel, celui de l’acceptation de soi et du droit à l’amour, même (et surtout) quand il ne ressemble à aucun autre.


Impossible de ne pas repenser à toutes ces différences invisibles qui traversent nos vies, à la violence douce des normes, à la force qu’il faut pour exister sans se dissoudre dans la foule.  Différente ne délivre aucune morale, ne propose aucune solution clé en main. Il offre, avec une grande pudeur, le portrait d’une femme qui apprend à se tenir debout dans sa propre lumière, à aimer sans mode d’emploi, à faire de sa différence une force fragile et indocile.


« Différente ouvre une brèche précieuse : l’amour y est moins une évidence qu’un apprentissage maladroit. Ce n’est pas une romance à deux, mais une tentative d’habiter le monde ensemble, autrement. » - Lola Doillon


Ce film de Lola Doillon, sorti le 11 juin 2025, s’inscrit dans la tradition des comédies romantiques françaises, mais il en détourne les conventions pour explorer la question de la neurodivergence et de l’acceptation de soi.


Le cœur du film bat au rythme de la relation entre Katia et Fred, son compagnon, interprété par Thibaut Evrard. Leur histoire d’amour, loin des clichés, se construit dans la confrontation permanente à l’incompréhension, à la maladresse, à la nécessité de réinventer le langage amoureux. Fred, déstabilisé par la découverte du trouble de Katia, oscille entre l’envie de comprendre et la tentation du repli, révélant la difficulté, pour l’entourage, de s’ajuster à une réalité qu’il ne maîtrise pas. Katia, incarnée avec une justesse désarmante par Jehnny Beth, n’est pas le personnage habituel des romances dans le cinéma. Elle évolue dans un monde où chaque interaction sociale est source d’incompréhension, où le bruit, la lumière, les codes implicites deviennent des obstacles invisibles mais omniprésents. Son parcours professionnel, marqué par la curiosité et l’exigence, ne parvient pas à masquer une différence profonde, longtemps inexpliquée.

 Jehnny Beth, Thibaut Evrard  dans le film Différente | Copyright Memento Distribution
 Jehnny Beth, Thibaut Evrard dans le film Différente | Copyright Memento Distribution

La révélation de son autisme, au détour d’un reportage sur le sujet, agit comme un séisme intérieur. Soudain, tout s’éclaire : les maladresses, les ruptures, la difficulté à s’intégrer, la sensation d’être perpétuellement en décalage. Ce diagnostic n’est certes pas une fin, mais plutôt le début d’un cheminement vers l’acceptation et la réconciliation avec soi-même.


Ce film présente avec une grande sincérité, la violence des normes sociales, la tyrannie du regard des autres, mais aussi la beauté d’un amour qui se réinvente hors des sentiers battus. La tendresse de Lola Doillon pour ses personnages transparaît dans chaque scène, chaque abscence, chaque geste maladroit.


L’écriture de la réalisatrice nourrie de documentation et d’échanges avec des personnes concernées, confère au film une véritable authenticité. Les détails du quotidien de Katia – la gestion des imprévus, l’hypersensibilité sensorielle, le besoin de solitude – sont restitués avec une minutie qui évite le piège du didactisme pesant. La caméra épouse le point de vue de l’héroïne, rendant palpable son effort constant pour s’adapter à un monde qui ne lui fait pas de place.


La bande-son, subtile, accompagne les fluctuations émotionnelles sans jamais forcer le trait. Le montage, précis, privilégie les ellipses et les non-dits, laissant au spectateur le soin de combler les vides, d’imaginer l’indicible. Cette pudeur narrative, exceptionnel dans le genre de création, donne au film une profondeur inattendue.

Affiche - Différente
Affiche - Différente

Différente ne se contente pas de raconter une histoire d’amour atypique ; il interroge la notion même de normalité. À travers le parcours de Katia, le film met en lumière la violence sourde de l’injonction à la conformité, la difficulté d’exister en dehors des cadres préétablis. Il nous signifie que la différence, loin d’être un défaut à corriger, peut devenir une richesse, une source de créativité et de résilience.


La découverte tardive de l’autisme chez Katia soulève une question essentielle :

Combien de femmes, d’hommes, vivent sans le savoir avec une neuroatypie, masquant leurs difficultés derrière des efforts d’adaptation épuisants ?

Il faut aujourd’hui repenser le regard que l’on porte sur l’autre, dépasser les jugements hâtifs, accueillir la complexité des trajectoires humaines, c’est l’un des objectif de notre société à travers le prisme de l’humanité.


La performance de Jehnny Beth, tout en retenue et en intensité, donne chair à cette lutte intérieure. Son jeu, nuancé, évite les stéréotypes et rend justice à la complexité du personnage. Autour d’elle, les seconds rôles, parfois plus schématiques, servent de contrepoint à cette quête d’authenticité.


En mariant comédie romantique et exploration de la neurodiversité, Lola Doillon ouvre une brèche précieuse dans le paysage cinématographique français. Elle nous indique que l’amour, loin d’être une évidence, est un apprentissage permanent, un effort partagé pour habiter le monde ensemble, autrement. Le film, sans jamais sombrer dans le misérabilisme, célèbre la force de l’adaptation, la beauté des différences, la nécessité de repenser nos façons d’aimer.


Face à Différente, impossible de ne pas s’interroger sur sa propre relation à la norme, à la différence, à l’acceptation de soi. Le film agit comme un miroir, renvoyant chacun à ses propres fragilités, à ses tentatives d’ajustement, à ses zones d’inconfort. Il invite à la bienveillance, à la curiosité, à l’ouverture, en exprimant aux  spectateurs que la richesse des relations humaines réside précisément dans leur imprévisibilité, leur imperfection, leur capacité à surprendre.

Jehnny Beth, Thibaut Evrard  dans le film Différente | Copyright Memento Distribution
Jehnny Beth, Thibaut Evrard dans le film Différente | Copyright Memento Distribution

 « Lola Doillon — et, par voie de conséquence, son interprète Jehnny Beth — montre à la fois le hiatus permanent entre Katia et le monde, mais aussi les stratégies empiriques déployées par celle-ci pour “survivre” en l’absence d’informations sur l’origine de son état. »— Stimento, sur le jeu de l’actrice principale et la mise en scène du décalage social.


Différente s’impose comme une œuvre nécessaire, à la fois délicate et puissante, qui bouscule les certitudes et invite à repenser le regard que l’on porte sur l’autre. En donnant voix à une héroïne hors-norme, Lola Doillon offre au cinéma français un souffle d’air frais, une invitation à l’empathie et à la remise en question. Un film à voir, à méditer, à partager, pour apprendre à aimer autrement – et, peut-être, à s’aimer soi-même, enfin.


« Suis-je tout ce que tu désires maintenant ou tout ce que tu détestes ? »— Adore Adore Adore, chanson du groupe Sprints qui ouvre le film, posant d’emblée la question de l’ambivalence du regard de l’autre et du trouble des sentiments.

 

DIFFÉRENTE de Lola Doillon | BANDE-ANNONCE OFFICIELLE |


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